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Expliquer la blessure morale

Le blessure morale ou moral injury :

Lorsque la force morale d’un individu s’effondre, il est pertinent de parler de blessure morale. Ce concept, ou « moral injury » en anglais, a d’abord émergé dans le contexte des expériences vécues par les militaires pendant et après les conflits armés, mais son champ d’application s’est progressivement élargi à d’autres domaines, tels que les soins d’urgence, la médecine, la justice, les crises sociales et sociétales. Ainsi toute la société est concernée.

Le psychiatre Jonathan Shay a introduit cette notion après avoir étudié les effets des traumatismes chez les vétérans de la guerre du Vietnam. Il a observé que certains soldats, au-delà des traumatismes physiques ou du trouble de stress post-traumatique (TSPT), étaient profondément affectés par un sentiment de trahison ou par la violation de leurs valeurs morales profondes. Ce phénomène allait bien au-delà des blessures psychologiques ou physiques habituelles, touchant directement leur sens de la morale et leur compréhension du bien et du mal.

La blessure morale se définit comme un conflit de valeurs internes qui sont propres à la personne moralement blessée. Il en résulte une fracture du jugement interne. Nous en avons décrit le mécanisme fondateur afin de la distinguer de la blessure psychique et de l’expliquer. Nous avons élaboré une méthode spécifique d’accompagnement et de prévention pour y faire face.

La blessure morale décrit la souffrance mentale et émotionnelle vécue par un individu lorsqu’il commet, assiste ou n’empêche pas des actions qui vont à l’encontre de ses valeurs (ce qui est personnel et subjectif), de son éthique (les principes ou normes qui guident la conduite d’un individu) et de ses convictions (ce qu’il croit au plus profond de lui-même, ce qui lui correspond). Par exemple, il se voit contraint de commettre des actes qu’il juge moralement inacceptables, ou il est témoin d’actions allant à l’encontre de ses valeurs sans pouvoir intervenir pour les empêcher.

Cette forme de souffrance survient également lorsque l’individu se sent trahi par une autorité, qu’il s’agisse d’un supérieur, d’une institution, générant des sentiments de honte, de culpabilité, de colère ou de dégoût.

Ce concept se distingue du trouble de stress post-traumatique (TSPT) par son origine : alors que le TSPT résulte d’une exposition à un traumatisme externe menaçant son intégrité physique, psychique et morale, pouvant entraîner une souffrance dans les trois domaines, la blessure morale est liée à des conflits concernant la conduite morale, la trahison des valeurs personnelles ou collectives, ainsi qu’à la rupture de la confiance envers autrui.

Les causes de la blessure morale peuvent être multiples. Elle peut résulter de l’obligation de commettre des actes perçus comme immoraux, comme lorsqu’un individu reçoit l’ordre de commettre un acte qu’il juge moralement inacceptable. Elle peut aussi survenir lorsque l’individu est témoin d’actes immoraux, tels que des atrocités ou des violations de droits humains, et qu’il se sent impuissant à intervenir. Enfin, la blessure morale peut être déclenchée par un abandon ou une trahison de la part de figures d’autorité, ce qui déstabilise son sens de la justice et de la loyauté.

Depuis son origine, le concept de « moral injury » a été adopté dans d’autres domaines où des personnes sont confrontées à des dilemmes moraux graves, comme dans les professions de santé, la justice pénale et d’autres situations de stress extrême. Dans le domaine médical, par exemple, des soignants peuvent éprouver une blessure morale lorsqu’ils sont contraints de prendre des décisions difficiles contraires à leurs éthiques, à leurs valeurs et ou lorsqu’ils sont témoins de souffrances qu’ils ne peuvent pas apaiser.

La blessure morale, bien que peu définie en France, est un enjeu crucial pour les armées dans un contexte international marqué par des conflits de haute intensité et des guerres hybrides. Alors que des forces comme celles des États-Unis et du Canada intègrent cette notion dans leurs pratiques grâce aux aumôniers, en France, elle demeure mal identifiée et peu prise en charge. La prise en compte de la blessure morale ouvre de nouvelles perspectives d’accompagnement de personnes dont la souffrance n’était peut-être pas identifiée. Cela concerne l’ensemble de la société et contribue à la résilience morale de la nation.